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Katia Benth : Empowerment au féminin

L’empowerment a le vent en poupe depuis quelques temps, mais savez-vous ce que c’est ?

Découvrez ce que cache ce mot. Bien plus qu’une mode, il devient un véritable phénomène de société associé aux revendications des femmes.

A notre sens, beaucoup de femmes incarnent le leadership féminin, mais nous avons choisi de nous focaliser sur Katia Benth, incontestablement une source d’inspiration pour de nombreuses femmes.

 

Qu’est-ce que l’empowerment au féminin ?

Populaire sur les réseaux sociaux, le concept est né au XXe siècle aux États-Unis.  Celui-ci fait référence à la prise de pouvoir par les individus pour eux-mêmes. L’objectif étant d’agir sur les conditions écologiques, politiques, sociales et économiques auxquelles ces individus sont confrontés.

Au féminin, l’empowerment se rapporte à la capacité des femmes à s’émanciper par elles-mêmes avec pour but l’obtention de l’égalité hommes-femmes. L’empowerment, c’est un concept positif comme on les aime. Il mêle confiance, ambition, pouvoir, acceptation de soi et communauté.

 

Katia Benth : figure de l’empowerment féminin

Ⓒ Mirtho Linguet

Katia Benth, l’ex-sprinteuse française, a été sacrée championne d’Europe du 4X100m en 1998 et vice-championne du monde avec le relais 4X100m, à Séville en 1999. Elle a également à son actif 2 titre de championne de France (1999 et 2003).

D’ailleurs, en remportant cette médaille d’or lors des championnats d’Europe d’athlétisme, Katia Benth est devenue (avec Bernard Lama), la première athlète de haut niveau, guyanaise.

Au-delà de cette carrière au plus haut niveau, qui a duré 17 ans, Katia Benth, c’est aussi une tête bien faite. Elle est titulaire d’un DEUG AES et Licence AES – d’une licence et d’une Maîtrise d’Administration Économique et Sociale. DESJEPS – ensemble des fonctions de direction (financières, techniques, gestion des personnes, communication) au sein des associations sportives ou de jeunesse.

Si après une carrière sportive bien rempli, elle se reconvertie en tant que professeure des écoles, les stades et l’élite sportive ne sont jamais loin.

Depuis 2009, elle est entraineuse de haut niveau et redonne ce que l’athlétisme lui a donné.

Aujourd’hui, elle entraîne entre autres Gémima Joseph, championne de France junior du 100 et du 200m en 2019 et qui a participé à ses premiers JO à Tokyo avec une finale à la clé. L’objectif : l’accompagner vers les JO de Paris 2021.

Katia Benth démontre alors un peu plus chaque jour qu’il est possible de se préparer au plus haut niveau en Guyane et obtenir de bonnes performances.

 

Rencontre avec Katia Benth

Ⓒ Mirtho Linguet

C’est sur Kourou que je pars à la rencontre de l’ex-sprinteuse. Ce jour-là, elle mène l’entraînement de plusieurs jeunes au détour d’un chemin à Pariacabo. C’est un jour férié en pleine semaine, le stade est fermé, il pleut et pourtant ils sont tous présents et motivés. Il faut dire qu’avec Katia Benth comme entraineur, on ne peut être que motivés !

Elle s’est adaptée aux contraintes liées à ce jour férié et au temps et propose aux jeunes des exercices en fonction de ce contexte. Comme elle le dit si bien, il faut savoir se réinventer chaque jour.

 

Comment aidez-vous les jeunes filles et jeunes femmes dans votre domaine à s’émanciper ?

Il est vrai que le sport est surtout un milieu d’hommes car à l’origine, ce sont les hommes qui pratiquaient les activités sportives. Et quand les femmes ont pu faire du sport, il a fallu tracer son chemin, il a fallu se battre pour avoir des résultats. C’est vrai que quand j’ai commencé le sport, ma disciple n’a pas tellement de différence entre hommes et femmes car nous concourrons ensemble, nos compétitions sont mixtes, pas comme le football où les championnats sont à part ou dans d’autres sports. Donc on n’a pas trop eu de difficultés. Mais les hommes étaient plus mis en avant par rapport à leurs résultats que les femmes.

Aujourd’hui, je suis très fière parce que depuis plusieurs années en Guyane, ce sont les filles qui ramènent les meilleurs résultats en athlétisme donc depuis ma génération jusqu’à celle de Gémima, on entend beaucoup plus parler des filles. C’est une véritable fierté.

Et comme je dis souvent aux filles que j’entraine, c’est aussi quelque chose d’important dans la société parce que c’est aussi quelque part une ouverture pour nous les femmes, de montrer qu’à travers le sport on peut réussir, faire de grandes choses et montrer que nous avons de la valeur surtout. C’est également montrer que l’on peut réussir professionnellement parce que le sport c’est une manière de vivre, c’est un état d’esprit. Ça te permet de t’autoévaluer, de t’autocritiquer pour toujours aller de l’avant et ça donne une force en plus quand on est une fille.

La majorité de mes athlètes sont des filles, parce que j’ai toujours aimé entrainer des filles, j’ai plus de relationnel avec elles et donc c’est aussi cette image de la femme qui peut réussir et devenir quelqu’un dans la société.

 

Au-delà du palmarès et de la carrière sportive, qu’est ce qui fait que vous êtes un exemple pour ces jeunes femmes ?

Je prends beaucoup le temps de discuter avec les jeunes parce que je ne fais pas que les entrainer. Je prépare aussi des hommes et des femmes de demain. Donc je discute beaucoup tant au niveau de leur comportement vis-à-vis des autres et vis-à-vis de leurs études, car il faut qu’ils soient très sérieux à ce niveau.

Et donc par mon exemple de vie, de carrière professionnelle aussi, car j’ai des diplômes, j’ai été enseignante et ce n’est pas forcément le sport qui m’a mené où je suis aujourd’hui.

Je leur enseigne que le sport c’est un loisir, une passion, surtout dans notre discipline car on ne gagne pas sa vie comme au football.

Je leur montre aussi cette image de quelqu’un de rigoureux et passionné pour que demain ils aient aussi cette rigueur dans leur vie en général, dans tout ce qu’ils vont entreprendre. Aujourd’hui, on peut aimer un sport, on peut se donner au sport, mais il ne faut surtout pas oublier que l’on a un avenir ensuite.

 

Comment percevez-vous l’égalité hommes-femmes en Guyane ?

C’est difficile de répondre car il est vrai que si on regarde au niveau politique, il y a encore beaucoup de disparités. Il y a quelques femmes qui sont maires, une femme sénatrice, on a eu des députés mais ce n’est pas encore équilibré. Au niveau économique, on ne voit pas beaucoup de femmes cheffes d’entreprises mais ça commence à venir. Mais c’est à nous de tenir le taureau par les cornes et de se lancer.

Cependant, je sais qu’il y a beaucoup de femmes qui ont beaucoup d’ambition et on dit souvent que notre société guyanaise est matriarcale te que les femmes ont énormément d’importance. Elles affirment de plus en plus et je le vois. Je prends pour exemple le groupe WhatsApp Mo Women dans lequel j’ai été intégrée. J’ai été surprise de voir autant de femmes avec autant de compétences en Guyane. C’est impressionnant. Et par timidité, je ne me suis pas présentée car je suis un niveau en dessous. Mais il est vrai qu’en Guyane, il y énormément de femmes qui ont des compétences dans tous les domaines. On voit des femmes qui travaillent dans des domaines « dits d’hommes ». C’est fabuleux de voir des femmes qui conduisent des bus. La dernière fois, j’ai vu une femme qui conduisait un engin avec des agglos, j’at étais impressionnée.

Mais voilà, il faut qu’on se lance, il ne faut pas avoir peur. Et dans mon domaine, il y a beaucoup de femmes dirigeantes dans les comités, dans les clubs… et c’est très intéressant. Les femmes ont aussi leur place à ce niveau.

 

Qu’est ce qui fait que vous, vous n’avez pas peur de vous lancer ?

 C’est la passion ! Je le dis tous les jours car j’aime ce que je fais. Me battre tous les jours, me réveiller tous les matins, même si aujourd’hui, c’est mon métier, c’est avant tout ce qui m’a nourri tous les jours. J’y suis retournée après avoir enseigné pendant 12 ans. Et donc, être dans le milieu du sport, entrainer, éduquer les athlètes, car je fais plus que les entrainer, je les éduque également, pour moi c’était une évidence. C’était vraiment une évidence, surtout, de donner ce que l’on m’a donné à l’époque où j’avais leur âge. J’ai eu des entraineurs qui m’ont encadré et donné cet amour du sport et je veux leur rendre la même chose.

 

Que pensez-vous qu’il nous manque pour que les femmes s’élèvent en Guyane ?

 Je pense que cela vient de la société guyanaise. On dit que nos femmes sont des « poto mitan », ce sont nos femmes qui régissent les familles, mais nous sommes discrètes. Nos mères et nos grands-mères étaient humbles et discrètes. Et quelque part, elles nous ont transmis cette façon de vivre et d’être. Et il est vrai que l’on préfère rester en retrait.

Nos mères, nos grands-mères et nos arrière-grands-mères, même si elle voulait dire quelque chose, elles n’osaient pas le faire, ni se mettre en avant. Et justement, j’apprécient les femmes qui le font, qui se mettent en avant et qui font que les choses avancent. Certes, ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir ce tempérament. Mais je sais que toutes les femmes ont en elles ce caractère de battante : vouloir se battre pour sa famille, pour son emploi, pour sa carrière mais on a toujours cette petite voix dans un coin de la tête qui nous murmure qu’il ne faut pas parler trop fort… C’est aussi ça le problème dans cette société Guyanaise.

Nous avons beaucoup de qualités, nous devons les mettre en avant. Mais petit à petit, le chemin va se faire et les femmes qui sont là aujourd’hui pousseront et donneront l’exemple à celles de demain.

Nous sommes là pour ouvrir le chemin, déblayer la forêt pour que les autres puissent avoir un passage.

 

Ⓒ Mirtho Linguet